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Topic: CRITIQUE DE L’ECONOMIE VERTE ( PNUE, 2011)
ducommunm
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CRITIQUE DE L’ECONOMIE VERTE ( PNUE, 2011)
on: January 9, 2014, 10:10

CRITIQUE DE L’ECONOMIE VERTE ( PNUE, 2011)

Le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) a publié un document (Synthèse à l’intention des décideurs) décrivant les avantages d’une économie verte, en particulier conçu en lien avec la Conférence RIO +20.

L’intérêt de ce document, c’est d’être en partie une source d’informations utiles, mais surtout de montrer involontairement la contradiction fondamentale du concept de développement durable.

Dans sa préface, il se montre positif concernant la Conférence de RIO 1992 : ” À l’époque, nous prenions tout juste conscience des défis émergents à l’échelle planétaire”, et ” ces préoccupations qui semblaient si lointaines se concrétisent”, mais ” Rio 1992 n’a pas failli, loin de là. Il a donné au monde la vision d’un avenir durable”.

Puis l’introduction brosse un constat qui contredit ce non échec de Rio 92 :
” Plusieurs crises simultanées ont surgi ou se sont accélérées au cours de la décennie écoulée : climat, biodiversité, énergie, denrées alimentaires, eau et tout récemment la crise du système financier et l’économie mondiale toute entière. L’augmentation galopante des émissions polluantes donne lieu à des craintes croissantes d’emballement du changement climatique avec des conséquences potentiellement désastreuses pour l’humanité.” Est-ce cela la ”vision d’un avenir durable ?
 Et le constat se poursuit : ” la plupart des stratégies de développement et de croissance économiques ont favorisé l’accumulation rapide de capital physique, financier et humain, au prix d’un épuisement et d’une dégradation excessifs du capital naturel ”.
Ce n’est pas fini : ” Ce schéma de développement et de croissance qui épuise le stock de richesse naturelle mondiale, souvent de manière irréversible, nuit au bien- être des générations actuelles et placera les générations futures devant des risques et des défis considérables.”

Toutes ces citations montrent sans équivoque l’échec du développement durable définit à RIO 92 : en particulier le Principe 4 :
” Pour parvenir à un développement durable, la protection de l’environnement doit faire partie intégrante du processus de développement et ne peut être considérée isolément.” Qui ose prétendre que la protection de l’environnement a fait des progrès depuis 1992 ? Les analyses qui affirment qu’il faut poursuivre dans la voie de Rio 92 ferment les yeux sur le fait qu’en 20 ans on s’est éloigné des objectifs plutôt que de s’en rapprocher. 
L’autre objectif fondamental, définit par le Principe 5, ne se porte pas mieux :
”Tous les Etats et tous les peuples doivent coopérer à la tâche essentielle de l’élimination de la pauvreté, qui constitue une condition indispensable du développement durable, afin de réduire les différences de niveaux de vie et de mieux répondre aux besoins de la majorité des peuples du monde.” Les Objectifs du Millénaire pour le Développement, définis par les Nations Unies en 2000, et devant être atteints en 2015, se limitent à vouloir éliminer la moitié de l’extrême pauvreté, et chacun sait aujourd’hui que cet objectif ne sera pas atteint. De nouveau échec du deuxième objectif essentiel de Rio 92.

Le PNUE ne peut pas cacher une réalité évidente, mais en même temps il fait partie des Organisations des Nations Unies, et ne peut pas proclamer l’échec d’un des axes importants de ces Nations Unies. La ”solution”, c’est de proclamer l’échec de l’économie ”brune”, et que c’est l’économie verte qui peut garantir le succès du développement durable. Et la définition de cette économie est positive, pleine de bons sentiments, tout comme l’était celle du développement durable: ”l’économie verte est une économie qui entraîne une amélioration du bien-être humain et de l’équité sociale tout en réduisant de manière significative les risques environnementaux et la pénurie de ressources.”

Il y a quelque chose d’affolant de constater qu’au plus haut niveau des gouvernances mondiales le constat de l’échec manifeste des objectifs définis en 1992 n’entraîne pas une réflexion pour comprendre cet échec, pour analyser ses causes, alors que la situation de notre monde aux niveaux de la pauvreté, de la faim, du dérèglement climatique, des dégâts environnementaux, devient de plus en plus dramatique. Il y a manifestement une forme d’irresponsabilité de se contenter de proposer un changement de couleur de l’économie ! Et ce d’autant plus que la ”solution économie verte” tient plus d’une proclamation idéologique que d’un système social et économique crédible.

En effet, analysons de plus près comment se concrétise cette économie verte.

Premièrement, une telle transformation nécessite un financement. Le PNUE évalue qu’il faut ”investir 2 % du PIB mondial dans le verdissement de dix secteurs cruciaux de l’économie afin de réorienter le développement”, c’est-à-dire 1’300 milliards de dollars par an (au début). Cet investissement serait rentable, car produisant vite une croissance qui ”rembourserait” ces investissements. Cet aspect appelle trois remarques : d’une part cet investissement est 3 à 4 fois supérieur à ce qui permettrait de supprimer la faim sur terre, et il est accordé aux entreprises privées, sans que l’origine de son financement soit précisée. Cela fait quand même penser à un transfert au profit des entreprises privées, et financé par la majorité de la population, même si le PNUE estime : ” Les secteurs de la finance et de l’investissement contrôlent des milliers de milliards de dollars et sont en mesure de fournir l’essentiel du financement nécessaire à la transition verte.” Certainement ces secteurs sont en mesure de le faire, mais qui les contraindra ? 
D’autre part il serait rentable (de nouveau pour qui ?) grâce à une croissance ainsi générée. On retrouve l’objectif d’une croissance, dont on a déjà constaté les conséquences négatives, et rien de sérieux n’est disponible pour démontrer que cette croissance serait elle positive du point de vue de l’environnement, en quoi elle serait qualitativement différente.

Ce besoin de financement révèle une autre contradiction : l’économie verte reste une économie capitaliste, mais il faut lui accorder 1’300 milliards par an pour la convaincre d’entrer dans cette économie qui correspondrait à son intérêt !

Deuxièmement, quels sont les arguments qui justifient le passage d’une économie brune, qui s’est développée de manière naturelle correspondant aux objectifs du système dominant, à une économie verte porteuse d’espoir ? Pour ceux qui bénéficient de ces 1’300 milliards, la réponse est claire. Mais pour ceux qui doivent les fournir ? Pour le PNUE, plusieurs constats semblent favorables ou importants :

” L’intérêt récent pour ce concept a sans nul doute été encouragé par la déception généralisée à l’égard du paradigme économique dominant, le sentiment de lassitude né de la multitude de crises simultanées et les dysfonctionnements du marché”.

Mais l’espoir ne suffit pas, il faut des mesures : ” De meilleures politiques publiques comportant entre autres des mesures réglementaires”, et ” La reconception des systèmes de production implique de revoir la conception des produits de manière à allonger leur durée de vie en les rendant faciles à réparer, à reconditionner, à remanufacturer et à recycler” ainsi que ”le recours à la fiscalité et aux instruments économiques pour modifier les préférences des consommateurs” et finalement :” Il est clair qu’il faudra opérer des changements importants dans la philosophie, la culture, la stratégie et l’approche des activités bancaires, d’investissement et d’assurance”.

Ce qu’il y a d’intéressant dans ces citations, c’est que le changement de couleur de l’économie devient un changement de certains éléments de la nature du capitalisme. Mesures réglementaires, suppression de l’obsolescence programmée, changements dans la philosophie, la culture et la stratégie, ce n’est pas du détail. Mais qui sont les porteurs de tels changements ? Pour le PNUE, ce sont fondamentalement les Etats. Les Etats deviendraient ainsi les contradicteurs principaux des pratiques capitalistes, et cela pour leur bien ! Jouer sur ce type de contradiction, et ne pas voir que dans leur grande majorité les Etats sont au service des intérêts privés dominants, cela n’augmente pas la crédibilité du modèle du PNUE. Sans compter la vision douteuse de la démocratie qui consiste à ce que l’Etat agisse pour modifier les préférences des consommateurs.

Ce qui précède tend à montrer que les conditions nécessaires pour implanter une économie verte posent problème. Mais, rêvons un peu, cette économie offre-t-elle un tel avenir qu’il vaut la peine de se battre pour elle ? En d’autres termes, un capitalisme qui lui serait soumis permettrait-il de résoudre les problèmes de la pauvreté, de la faim, des atteintes écologiques ? La réponse est clairement NON, et résulte de la compréhension de l’échec du développement durable, compréhension basée sur 2 constats :

- D’une part la croissance telle qu’on la connaît depuis 40 ans mène à la catastrophe, au travers de l’épuisement des ressources (pétrole, matières premières), des dégâts environnementaux (climat, biodiversité, pollutions) et de l’augmentation de l’empreinte écologique que la terre ne peut plus satisfaire,
 d’autre part cette croissance sans limite de la production de marchandises et de la consommation est une nécessité vitale, systémique du mode de production capitaliste pour maintenir les profits.

-La contradiction entre les objectifs du développement durable et les besoins du capitalisme devient une évidence si l’on analyse les 20 dernières années. C’est sans doute pour cette raison que cette analyse n’est pas faite, la conclusion n’étant pas acceptable au plus haut niveau des gouvernances mondiales.

La question est alors : L’économie verte peut-elle résoudre cette contradiction ? Peu importe la couleur, ce projet a un objectif de croissance économique, et toute croissance nécessite des dépenses en énergie et en matières premières. Du côté de l’énergie, on parle beaucoup des nouvelles énergies renouvelables (photovoltaïque, éolienne, géothermique), mais plus pour la propagande que comme solution : L’Agence Internationale pour l’Energie prévoit en 2009 que ces énergies renouvelables égaleraient 1,75% de la production totale d’énergie en 2030 ! Peut-on imaginer que l’économie verte arriverait à amener ce pourcentage à 50%, ce qui serait un minimum pour envisager un contrôle du réchauffement climatique ? D’autre part le recyclage permet de retarder l’épuisement d’un nombre important de matières premières (métaux en particulier), mais retarder une échéance n’est pas l’éliminer.
Il faut ajouter que les simulations du PNUE prévoient une augmentation de la croissance, mesurée par le PIB, par rapport au modèle actuel, qui débuterait en 2016 pour aboutir en 2050 à un PIB projeté supérieur de 16%. Et ce n’est pas une croissance d’un autre type, dans la mesure où elle est évaluée à partir de l’étalon actuel de la croissance, le PIB.
 Autre élément pour nous rendre définitivement sceptiques, c’est que le passage à l’économie verte, comme c’était le cas pour le développement durable, n’est assorti d’aucune obligation, d’aucun objectif mesurable, vérifiable et accepté par l’ensemble des pays. Au royaume des bonnes intentions, la proclamation idéologique et pratiquement gratuite est reine.

Concernant l’emploi, il faut se souvenir que l’on reste dans une économie capitaliste, c’est la réalisation du profit qui reste l’élément déterminant. Lorsque l’on affirme que l’économie verte peut être créatrice d’emploi, on oublie que la question du chômage n’est pas celle du manque d’emplois, mais de la nécessité pour le capitalisme de diminuer les coûts de production, donc aussi les salaires, tant en termes de nombres de salariés que de niveau des salaires, tirés vers le bas grâce au chômage. L’augmentation de la productivité n’est pas traduite, pour la même production, en diminution du temps de travail, mais en diminution du nombre de travailleurs.

Enfin il faut souligner le fait que les éléments qui apparaissent positifs dans le rapport du PNUE, la priorité donnée à une agriculture respectant les processus naturels plutôt qu’une agro-industrie, à la reforestation, à la pause dans la pêche industrielle pour repeupler les mers et océans, à la suffisance d’eau potable à prix abordable en particulier pour les populations du Sud, tous objectifs pour lesquels il est juste de se battre, sont en contradiction avec les intérêts capitalistes. Une ” agriculture respectant les processus naturels” est dans l’intérêt des petits paysans du Sud, pas des investissements financiers. La ” reforestation” est dans l’intérêt des populations indigènes du Brésil, pas de ceux qui investissent dans les cultures étendues de biocarburants. La ” la pause dans la pêche industrielle” devra être financée socialement pour indemniser les pêcheurs, et on connaît l’ardeur des milieux capitalistes pour combattre les prestations sociales. Et en ce qui concerne l’eau potable, elle n’est pas pour les grandes entreprises qui s’en occupent un besoin qu’il faut satisfaire, mais une marchandise qui doit permettre des profits. Croire que ces objectifs peuvent se concrétiser ” pour toutes les économies, tant étatiques que de marché ”, comme l’affirme le PNUE relève de la naïveté ou de l’aveuglement volontaire.

En conclusion, on ne peut que constater que le changement de terminologie sans changer les objectifs est révélateur des échecs successifs. Le développement durable défini à Rio 1992 n’est pas concrétisé, au contraire, alors on parle de capitalisme vert, qui montre plus la contradiction entre vert et capitalisme plutôt que des succès, ce qui amène au concept d’économie verte, qui semble plus alléchant. Le problème, c’est que ce n’est pas un changement d’appellation pour les mêmes objectifs qui va modifier la marche vers la catastrophe engagée par le système actuellement dominant.

Michel Ducommun


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