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Topic: Ecotaxe et bonnets rouges : un étrange automne en Bretagne
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Ecotaxe et bonnets rouges : un étrange automne en Bretagne
on: January 19, 2014, 19:49

Roxanne Mitralias est militante au Front de Gauche de l’Agriculture

Gaël Blanc est agriculteur, syndiqué à la Confédération Paysanne


Ecotaxe et bonnets rouges : un étrange automne en Bretagne


Présentée comme modérée et dynamique, la péninsule bretonne a vécu un automne mouvementé. Mais que s’est-il passé pour que les Bretons qui ont largement soutenu le candidat socialiste Hollande, manifestent par dizaines de milliers, cassent des portiques et en fin de compte obtiennent le recul du gouvernement sur cette fameuse Ecotaxe ?


L’agroalimentaire breton en crise


Ce sont les choix de la Politique Agricole Commune et des gouvernements qui l’ont porté qui ont façonné la Bretagne. Hyperspécialisée dans la production industrielle alimentaire de porc ou de poulet à coup de subventions à l’export, cette région en subit aujourd’hui les conséquences désastreuses. Des milliards d’euros ont soutenue la filière, comme par exemple les volaillers, Doux1 et Tilly Sabco afin de pouvoir vendre pas cher notamment au Moyen Orient. Au même moment le groupe Doux acquérait des usines de volailles au Brésil concurrençant celles de Bretagne, qui pour rester dans la course devaient alors licencier.

Pendant des dizaines d’années cette politique agricole a contraint les paysans à s’agrandir, à travailler sous contrat afin de faire baisser les couts de production. Il fallait toujours produire plus, n’importe comment, en sacrifiant sa santé, la qualité de ce qui était produit et l’environnement.


L’industrie agroalimentaire française, une des plus importantes au monde, emploie près de 500.000 ouvriers. Les conditions de travail sont précaires et pénibles dans les abattoirs, aux ateliers de découpe ou à l’emballage. Concurrencée par des bassins de production moins couteux (comme le Brésil ou l’Allemagne où les ouvriers sont sous-payés) cette industrie est en bout de course. Pour tenter de préserver ses marges le secteur embauche des « travailleurs détachés2 » souvent originaires d’Europe de l’Est. La crise qui frappe ce modèle agro-alimentaire breton a provoqué des milliers de licenciements, des délocalisations et des fermetures d’usines en cascade.


L’Ecotaxe : cette goute qui fait déborder le vase.


Ce contexte régional particulier aggrave la profonde défiance envers le gouvernement français actuel. En Bretagne, le rejet des politiques menées a pris la forme du rejet de l’écotaxe, conçue lors du Grenelle de l’Environnement3 pour financer les infrastructures nécessaires à la diminution du transport routier de marchandises. Ce sont les transporteurs qui doivent payer cette taxe sur la base du « pollueur-payeur ». Elle doit également servir à réorienter le trafic routier vers le fret ou vers le fluvial. Mais cette taxe telle qu’elle est décidée par le précédent gouvernement et validée par celui de Hollande, accumule les problèmes et les incohérences.


Tout d’abord elle ne s’applique pas sur les autoroutes payantes, ce qui a comme conséquence de renforcer le trafic routier sur elles. Mais aussi, il n’existe pas de réelle alternative aux transports par camions en Bretagne, comment donc réorienter ? Pire encore, c’est une première en termes de collecte de l’impôt : le gouvernement a signé un partenariat public – privé avec Ecomouv (espèce de consortium d’entreprises dans lequel on trouve la SNCF, mais aussi Goldman Sachs). Véritable scandale, c’est donc 20% de l’impôt collecté qui revient à cette entreprise qui a installé des portiques très couteux pour contrôler les camions4. Pour toutes ces raisons, cette fiscalité écologique apparaît comme punitive, fragilisant un secteur agroalimentaire exportateur déjà en difficulté, sans offrir de réelles perspectives de transition écologique.


Des bonnets rouges pour exprimer son désarroi


Crise du secteur agro-alimentaire, tensions économiques et sociales chez les agriculteurs et les commerçants, sentiment de matraquage fiscal, licenciements massifs chez les ouvriers mais aussi suppressions des aides à l’export, dessinent donc ce contexte particulièrement difficile. A ces facteurs s’ajoute une certaine remise en cause écologique du fameux modèle agro-alimentaire breton suite au scandale des algues vertes sur les côtes bretonnes dues à l’utilisation trop importante de nitrates par l’agriculture intensive et en particulier porcine. Par ailleurs, les scandales sanitaires et de fraude qui frappent l’industrie agroalimentaire ont renforcé l’interrogation des consommateurs sur la qualité des aliments « low-cost ».


C’est dans ce cadre que se crée ce mouvement qui a comme signe distinctif le bonnet rouge, faisant référence à la révolte du XVIème siècle des paysans bretons contre les hausses d’impôts imposées par la noblesse locale et le roi. Oubliant le caractère de classe de ces révoltes passées, les dirigeants locaux des bonnets rouges ont donné aux mobilisations actuelles un caractère régionaliste, opposant la Bretagne – lieu de travail à Paris – lieu de pouvoir. Les bonnets rouges profitent ainsi de la tradition régionaliste et indépendantiste bretonne. Leur première action a été d’aller détruire les portiques qui devaient servir à l’écotaxe. Des manifestations importantes ont suivies, comme celle de 30.000 personnes à Quimper par exemple. Ce mouvement divers était composé d’agriculteurs répondant à l’appel de la FDSEA5 ainsi que de certains patrons d’entreprises (des artisans aux grands groupes agro-industriels). FDSEA et MEDEF6 protestaient contre l’écotaxe, le « ras-le-bol » fiscal et pour la continuation des aides à l’export. De l’autre côté, des ouvriers licenciés de GAD (abattoirs) et d’autres usines d’agroalimentaire se sont retrouvés là pour défendre leur emploi, à l’appel notamment de Force Ouvrière7, un syndicat très présent dans cette branche. Mais les soutiens politiques de ce rassemblement, sont aussi très hétéroclites, allant de l’extrême gauche8 à la droite et au Front National de Le Pen, jusqu’à des groupuscules d’extrême droite violents. Le tandem des porte-paroles de ce mouvement est aussi étonnant : d’un côté le maire de Carhaix, régionaliste, sans étiquette mais situé plutôt à gauche et de l’autre, le dirigeant de la FDSEA, marquée à droite.


Reconstruire la souveraineté alimentaire



A côté de cette mobilisation pour sauver la filière agro-alimentaire bretonne, certains syndicats ouvriers, la Confédération paysanne9 et quelques forces de gauche (Le Front de Gauche, Europe Ecologie Les Verts) ont essayé de réorienter le débat. Elles ont essayé de rappeler par exemple qu’au centre du sentiment d’injustice fiscale se trouve le transfert de sommes importantes du travail vers le capital10. Ainsi, loin des promesses électorales de François Hollande, pour une fiscalité plus progressive, les efforts sont toujours réalisés par les moins aisés. Ces forces ont également tenter de dénoncer les politiques agricoles inefficaces et injustes qui subventionnent un agroalimentaire basé sur des conditions de travail désastreuses (pour les agriculteurs ou les ouvriers), qui est énergivore et très polluant, et qui génère des aliments de faible qualité. Mais à l’évidence les manifestations syndicales ou politiques qui ont été organisées n’ont pas permis de recentrer le débat. Aucun des sujets importants, comme l’injustice fiscale, le scandale des aides à l’export ou l’inefficacité de cette écotaxe, n’a pu émerger face au mélange des revendications des bonnets rouges.


Pourtant ce gouvernement qui se veut de gauche pouvait proposer une politique écologique et sociale efficace. Pour préserver l’emploi à court terme, les reprises et reconversions auraient dû être soutenues. Pour les entreprises qui auraient le plus de difficultés dans la réorientation de leur production, la nationalisation serait une solution d’urgence. Pour les autres, des reprises sous forme de coopératives pourraient être soutenues : Fralib11 ou Pulpa12 en France nous enseignent que c’est possible ! Pendant cet automne la Politique Agricole Commune était négocié, la France aurait dû proposer la réorientation des aides vers les petites fermes et non reproduire les erreurs passées, c’est à dire le fléchage vers les grandes exploitations agricoles ou les filières agroalimentaires.


En parallèle, un vaste plan de relocalisation radicale de l’agriculture d’export et bas de gamme vers une production de qualité, limitant les intermédiaires serait mis en place sur le moyen terme. Aussi, afin de financer le développement des infrastructures de transport non routier (fluvial ou fret) par les plus aisés, il faudrait rétablir la progressivité de l’impôt. De plus une véritable fiscalité écologique devrait voir le jour, taxant les produits polluants (pesticides par exemple), énergivores ou inutiles. En plus d’être socialement et écologiquement juste, cette politique aurait empêché la coagulation d’intérêts si divergents, ceux des salariés et des patrons ou des petits et gros agriculteurs !


Dans une Europe en crise où les tensions sociales s’expriment de manière compliquée, les bonnets rouges ont imposé au gouvernement socialiste de geler l’écotaxe et d’aider à hauteur de 20 milliards d’euros la Bretagne. Ce mouvement est parvenu à décrédibiliser les politiques écologiques, masquant ainsi l’urgence à réorienter le modèle agroalimentaire breton et à agir face au changement climatique. Contre les taxes mais pour les subventions, les bonnets rouges ont fait plier le gouvernement en alliant patrons, artisans et ouvriers, petits et gros agriculteurs dans une bataille où il n’y a que les premiers qui sortent gagnants.


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