Discussion

Guest  

Welcome Guest, posting in this forum requires registration.

Pages: [1]
Topic: L’agriculture productiviste, état des lieux d’un processus contre-nature.
admin
Administrator
Posts: 33
L’agriculture productiviste, état des lieux d’un processus contre-nature.
on: January 19, 2014, 19:53

L’agriculture productiviste,

état des lieux d’un processus contre-nature.


Introduction :

L’agriculture productiviste s’est enracinée dans nos campagnes en prenant appui sur un mythe puissant : il faut nourrir l’humanité pour ne pas recréer les conditions d’une guerre généralisée. Cette contre-vérité faisait l’impasse aussi bien sur les raisons réelles qui génèrent les guerres que sur les objectifs véritables de ceux qui promouvaient la « modernisation agricole ».

Sous-jacent, le but recherché de ce discours était de légitimer l’intégration de la production et de la consommation agroalimentaire dans des schémas d’échanges commerciaux internationaux, qui avait comme objectif de générer encore plus de profit pour les acteurs privés et publics. C’est le modèle agroalimentaire industriel qui a été choisi et promu par les décideurs (FAO, Communauté Européenne, USA) en concertation directe avec les multinationales.

La production issue du système agroindustriel présente 3 caractéristiques essentielles : elle est uniformisée, non économe et préjudiciable pour le travail, la santé et l’environnement. Opter pour ce modèle de production, de transformation et de consommation, permet le contrôle de la chaine agroalimentaire par un petit nombre d’acteurs économiques mais aussi une très importante concentration du capital. Le choix donc de cette modernisation de l’agriculture génère le transit généralisé des « marchandises » agricoles, en imposant aux « exploitants agricoles » des dépenses massives en intrants, machines, travaux publics et énergies.

L’idéologie qui sous-tend l’industrialisation de la production agricole est contre-nature : rendre les capacités des territoires équivalentes en se servant sans compter dans les ressources. Les conséquences sur le plan de l’environnement de ce productivisme agricole sont terribles et irréversibles : uniformisation du vivant et pollutions désastreuses.

Ce tableau détestable est mis en lumière dés les années 1990 grâce aux multiples crises environnementales et sanitaires qui voient le jour. La conférence de Rio, la convention sur la diversité biologique, la réforme de la Politique Agricole Commune sont autant de signes d’une prise en main, à la marge, de ces questions par les institutions. Un arsenal de fausses-bonnes solutions est promu, qui ne change pas le cœur du système agricole actuel : produire toujours plus en gaspillant et en détruisant la nature ; produire toujours plus en diminuant, en détruisant et au final en asservissant les paysans afin de générer des profits énormes pour les quelques entrepreneurs agricoles ou industriels agroalimentaires.

La situation aujourd’hui est complexe : la critique de l’agriculture productiviste du point de vue écologiste et la prise en charge par le capitalisme vert de cette critique ont engendrée une agriculture duale, partagée entre un schéma capitalistique et un schéma alternatif. Il n’empêche qu’à l’échelle mondiale la tendance est d’approfondir le processus d’intégration amorcée dans les années 1960.

Faire le bilan du point de vue écologiste de l’agriculture productiviste est encore utile, afin de comprendre les processus et les dangers à l’œuvre dans les pays non encore « modernisés », mais aussi pour comprendre ce qu’est en profondeur le productivisme et pourquoi il vaut mieux s’en passer…

Dans cet article nous allons essayer de faire un état des lieux de l’impact de l’agriculture productiviste sur l’environnement. C’est pourquoi nous allons développer trois aspects fondamentaux de ce système destructeur : le gaspillage des ressources (l’eau et l’énergie), la dangerosité (pour le climat, pour l’environnement, les travailleurs ou les mangeurs), et enfin l’uniformisation qu’il induit (des territoires et de la biodiversité). Dans la dernière partie nous allons explorer les alternatives existantes à ce modèle (en termes de production, mais aussi de transformation, de distribution ou de consommation) mais aussi les luttes qui posent la question d’un changement radical de gouvernance de la production agro-alimentaire mondiale.

Nous avons choisi de prendre comme exemple la France, car la diversité de ces territoires regroupe bien la multitude des situations qui existent en Europe. Aussi, il est difficile de traiter en même temps des pays du Nord et des pays du Sud. Gardons en tête que les politiques appliquées en Europe, le sont ou le seront dans les pays du Sud, avec souvent encore moins de garde-fous. Aussi, souvenons-nous que l’industrialisation de l’agriculture s’internationalise très vite, surtout quand les politiques néolibérales sont en oeuvre.


Une agriculture qui gaspille :


L’agriculture productiviste est basée sur une idée très claire. Produire plus en employant le moins possible de main d’œuvre et la remplacer par la machine, le combustible, l’irrigation. Les travaux réalisés auparavant par les agriculteurs, à la hauteur de leur capacités et forcement respectant l’échelle de la ferme, sont remplacés lors de la modernisation agricole par des travaux d’aménagement du territoire d’ampleur. Dans la ferme la généralisation des tracteurs a ouvert des possibilités importantes, en créant une nouvelle dépendance à l’énergie.


l’eau


Une caractéristique très importante du productivisme agricole est d’être très friand en eau. Dès les années 1960 les travaux d’irrigation et de drainage se multiplient en particulier dans les pays du Nord. Par exemple en 1995 les surfaces irrigables représentent 29% de la surface agricole utile aux Pays-Bas ; en France les surfaces irrigables ont été multipliées par 4,5 entre 1961 et 19961.


La consommation excessive d’eau engendre de manière directe des abaissements de nappes souterraines ou des réductions de débits dans les rivières. De manière indirecte, elle peut entrainer la disparition de zones humides (également liée à la mise en place de systèmes de drainage), l’apparition de déficits d’oxygène dans les rivières pouvant conduire à l’extinction de telle ou telle espèce végétale ou animale ou la salinisation progressive des nappes souterraines proches des zones côtières. Il faut aussi souligner qu’il existe des problèmes environnementaux importants associés à la construction de barrages et au détournement de cours d’eau pour l’irrigation.


Evidemment la quantité d’eau utilisée dépend d’un certain nombre de facteurs : le climat, le type de culture, les caractéristiques des sols, de la qualité de l’eau, des itinéraires techniques, de l’état des installations et de la méthode d’irrigation. La relation entre eau et agriculture est vitale : depuis des millénaires, les êtres humains ont fait en sorte de préserver cette ressource centrale pour les culures. Ce n’est que depuis quelques décennies que son usage est devenu illimité et non questionnable. En effet dans une économie globalisée et concurrentielle, les politiques et les responsables agricoles n’ont pas hésité à cultiver des espèces ou des variétés gourmandes en eau dans des régions arides, à délaisser des pratiques anciennes de captage de l’eau, à surconsommer jusqu’à l’épuisement. Derrière ce défilé d’absurdités se cache le choix de produire toujours plus et à n’importe quel prix, en tirant le maximum de profit pour ceux qui maitrisent la filière.


Le modèle agricole de l’après-guerre a multiplié les interventions pour industrialiser la gestion de l’eau dans l’agriculture. La surconsommation d’eau dans ces régions, qui va de pair avec l’intensification de la production s’accompagne de l’abandon des territoires en déprise. Mais le travail agricole ancien permettait de garder l’eau sur les terres difficiles (terrassement) et empêchait l’érosion… Nous sommes donc confrontés à une irrationalité écologique et sociale profonde : sur-utilisation des ressources hydriques dans certaines régions, destructions des équilibres hydriques dans d’autres (drainages massifs) et délaissement des pratiques agricoles traditionnelles de captage sur les terres en manque d’eau. La concurrence entre les territoires, et au final entre les exploitations, empêche tout gestion globale des possibilités hydriques qui serait menée dans le but de nourrir les populations, de préserver les ressources et de permettre l’occupation agricole des territoires fragiles… A long terme, la production agricole est très fragile pendant les périodes de sécheresse ou pendant de fortes pluies…


l’énergie


L’agriculture productiviste est basée économiquement sur la mécanisation du travail et la diminution de la main d’œuvre agricole. Celle-ci entraine nécessairement l’utilisation massive de carburant. Pendant la période de modernisation de l’agriculture (dés les années 1960) le facteur « coût énergétique » est négligeable. En agriculture comme dans les autres secteurs productifs on produisait sans compter l’énergie nécessaire et sans se soucier des conséquences.


En moyenne, on évalue dans les années 1990 l’importance de l’agriculture dans la consommation d’énergie finale à 2,5%. L’énergie représente 10% des consommations intermédiaires de l’agriculture européenne2. On peut distinguer consommations directes (sources extérieures d’approvisionnement – pétrole et gaz) et consommations indirectes, concernant en particulier le coût énergétique des intrants – engrais minéraux ou les tourteaux importés pour l’alimentation animale3.


La consommation d’énergie de l’agriculture dépend de la surface agricole du pays et des productions : c’est une évidence, mais produire par exemple des fleurs dans un pays tropical est moins gourmand en énergie qu’en Europe du nord. C’est aussi ça l’aberration productiviste : vouloir produire tout n’importe où, sans se soucier du gaspillage énergétique que ça engendre.


Le coût de l’énergie a fortement augmenté depuis la fin des années 1990 : c’est pourquoi la consommation énergétique des exploitations agricoles, est devenu un vrai enjeu économique. Les exploitations innovantes même intégrées dans un mode de production industrialisé peuvent réaliser des économies d’énergie importantes, en misant notamment sur les nouvelles technologies des énergies renouvelables. Par ailleurs les exploitations extensives (cultures ou herbivores) ou ayant adopté des démarches mixtes (polyculture élevage) sont moins consommatrices d’énergie. En somme, l’augmentation du coût du facteur énergie est le plus difficilement supportable pour les productions intégrées et les exploitations ayant une faible marge de manœuvre pour investir dans des nouvelles technologies. Ce sont les exploitations moyennes intégrées qui doivent rester concurrentielles par rapport aux grandes qui ont le plus du mal à gérer le facteur énergétique. En revanche les petites fermes en vente directe par exemple s’en sortent plutôt bien car elles ont une capacité importante d’amélioration de leur schéma de production (recyclage, utilisation des énergies renouvelables, externalisation des coûts énergétiques vers les consommateurs), puisqu’elles contrôlent relativement bien la commercialisation.


Aussi la question de la taille de l’exploitation est importante : si des démarches économes en énergie sont positives quand elles concernent le fonctionnement d’une ferme dans sa globalité, elles le sont moins quand elles remplacent la production agricole. Les tentatives de remplacer la culture de la terre par du photovoltaïque sur des grandes surfaces ou d’utiliser de la biomasse produite à la place de l’alimentaire sont des dangereux leurres participant au capitalisme vert. En effet, c’est des schémas de production économes en énergie à l’échelle de petites exploitations qu’il faut explorer et non pas des solutions techniques au problème énergétique. Produire des biocarburants à la place des aliments n’est pas une solution, mettre des photovoltaïques dans les champs non plus : ces solutions ne font que faire perdurer le productivisme en agriculture.


Enfin, la distance entre les bassins de production agricoles et les bassins de consommation se traduit aussi par des consommations énergétiques, du fait de l’obligation de recourir à des transports nationaux ou internationaux4. En effet l’agriculture productiviste à l’inverse de l’agriculture traditionnelle (vivrière, familiale ou paysanne) est taillée sur mesure pour le marché international : les produits agricoles sont conçus pour voyager longuement. Ainsi les bassins de production et les travailleurs sont en concurrence entre eux.


L’abandon de la spécificité agricole et la soumission de l’agriculture aux accords de libre échange n’est profitable qu’aux grands groupes, et absolument pas à l’environnement, aux paysans ou aux consommateurs. Questionner la spécialisation des territoires est donc une tache centrale pour atteindre la souveraineté alimentaire.


Dans la partie précédente nous avons exploré de quelle manière l’agriculture productiviste pendant ces dernières décennies a gaspillé l’eau ou l’énergie. Ce constat n’est pas à la marge : ce type d’agriculture se définie par rapport à ce gaspillage. Le seul objectif a été de produire plus dans l’intérêt d’un petit nombre d’agriculteurs ou d’entrepreneurs agroalimentaires. A aucun moment, ce modèle de développement n’a pris en considération la raréfaction des ressources, n’a essayé d’être économe. En matière d’agriculture, le productivisme a généré une culture de gaspillage et d’excès et un abandon du savoir-faire paysan qui misait lui sur l’économie et l’autonomie de la ferme, du collectif ou des territoires. On a beaucoup produit, en gaspillant énormément pour enrichir les intermédiaires et concentrer les exploitations.


Une agriculture dangereuse :


Même si la problématique du gaspillage devient de plus en plus importante, eut égard à l’augmentation des prix des carburants ou le manque criant d’eau, elle ne constitue pas la conséquence la plus grave du productivisme agricole. Dans cette partie nous allons essayé de comprendre comment ce type d’agriculture influe sur le climat en contribuant à son dérèglement ou bien comment depuis déjà trop longtemps elle a détruit son environnement.


pour le climat : exportations, transports, gaspillage


Quand les politiques ou les institutions évoquent la problématique du lien entre changement climatique et agriculture, c’est souvent soit pour pointer du doigt l’élevage en tant que gros émetteur de gaz à effet de serre, soit pour se réjouir des capacités de l’agriculture innovante à proposer des solutions technologiques.


Mais le tableau est bien plus triste : « l’agro-industrie est l’une des principales sources d’émissions de gaz à effet de serre  … entre 44 et 57% des émissions de gaz à effet de serre sont provoqués par le modèle actuel de production, de distribution et de consommation alimentaires 5 ». Le système agro-alimentaire basé sur le productivisme détruit les équilibres naturels des sols et diminue leur capacité à stocker et à capturer du carbone. Comme nous avons vu précédemment, la consommation énergétique dans ce modèle est importante et génère des émissions de CO2. Par ailleurs les fertilisants engendrent eux des relâchements d’oxydes nitreux. Enfin la destruction des zones forestières sous l’autel de la monoculture intensive contribue au même phénomène.


L’élevage productiviste est également concerné : 9% des émissions de CO2, 37% des émissions de méthane et 65% des émissions d’oxyde nitreux. Tout le monde pointe la consommation protéique excessive, mais très peu explique d’où elle vient. En effet l’imposition d’une agriculture productiviste s’est faite en même temps que l’invention d’un modèle de surconsommation alimentaire de type « grande distribution », déconnecté des capacités naturelles réelles, d’une qualité médiocre et engendrant d’énormes problèmes de santé publique. Si les populations occidentales sont tombées dans le piège, c’est parce qu’on leur a promis à coup de publicité, qu’il fallait consommer des protéines à bas prix, dangereuses, produites par des travailleurs mal rémunérés et dans des conditions insupportables pour eux et les animaux. Les agro-industries étaient gagnantes, dégageant des marges insoupçonnées, les éleveurs soumis à des imports d’alimentation animale, et les consommateurs intoxiqués et habitués à sur et mal consommer. Il faudrait donc se demander pourquoi le revenu des éleveurs est-il si bas, pourquoi est-ce qu’on privilégie la quantité à la qualité, pourquoi sommes nous contraintes à consommer d’une certaine manière, dans nos sociétés capitalistes, en ayant de moins en moins de temps pour faire les courses, cuisiner ou déguster ?


Pour faire face au changement climatique, les dirigeants, experts et responsables de la profession agricole adoptent des solutions techniques à la marge qui ont comme base l’idée d’un usage industrialisé des énergies renouvelables en agriculture. Par ailleurs les OGM sont présentés comme une des solutions mais qui sont comme nous le verrons plus tard, un danger encore plus important.


D’autres proposent de vider les campagnes de ses paysans et créent à la place des forêts – puits de carbone. Il est bien plus facile d’imaginer des avatars technologiques que de relocaliser et diversifier la production agricole, de redéfinir les besoins alimentaires selon les impératifs environnementaux.


Pour aller plus loin, il existe aujourd’hui des études6 qui proposent des ruptures agronomiques dans les pratiques culturales (semis direct par exemple qui permet des baisses de consommation de l’ordre de 50% de fioul par hectare), la réorientation des productions agricoles au profit des cultures ou la réforme des systèmes d’aides pour favoriser les fermes ayant un bon bilan énergétique. Mais pour s’engager dans ces voies de manière globale il est nécessaire de sortir du productivisme agricole : pour véritablement agir sur le climat et inverser la tendance on doit produire différemment, mieux distribuer et aller dans le sens de la souveraineté alimentaire.


Pour l’environnement, les paysans et les consommateurs : les intrants


Le productivisme agricole est incontestablement lié à l’usage massif d’intrants (pesticides ou engrais). Cette évolution a d’abord permis d’augmenter considérablement la production. Aujourd’hui, les conséquences environnementales et sanitaires observées et la stagnation des rendements ou l’apparition de résistances participent à une forte remise en cause des intrants.


De manière concrète le processus de la modernisation agricole consiste à remplacer l’homme par la machine et les intrants. La baisse extraordinaire du nombre d’exploitations et l’augmentation de la taille de l’exploitation moyenne signifient concrètement la croissance de la consommation de machines et d’intrants. C’est le fait de remplacer le travail humain par des solutions techniques (dans le cadre d’un système qui cherche à produire toujours plus) qui a engendré le désastre environnemental auquel nous assistons aujourd’hui.


Les conséquences de cet usage massif sont très préoccupantes : effets à long terme sur la santé des utilisateurs directs et des personnes proches exposées, effets sur l’environnement (pollution des eaux et des sols, destruction des insectes pollinisateurs et auxiliaires, diminution de la population d’oiseaux…), présence de résidus de pesticides dans l’alimentation humaine ou frein à l’émergence de pratiques agronomiques durables7.


Avec la modernisation agricole, main dans main, politiques, industriels et responsables agricoles ont fait asseoir un système d’exploitation et de destruction étendue des sols et des eaux utilisés en agriculture. A l’inverse du bon sens paysan et agronomique c’est le tout chimique qui s’est imposé, avec à la clef la qualité des produits et la santé des travailleurs et des consommateurs, compromises.


L’usage des pesticides est passé du curatif au préventif et l’enrichissement des sols de manière non naturelle est devenu monnaie courante. Aujourd’hui 200000 à 300000 tonnes de pesticides sont vendues, pour un chiffre d’affaires de 2 milliards d’euros. Un système bien ficelé s’est mis en place pour servir les intérêts des industriels : conseil agricole complaisant, procédures d’homologation insuffisantes, recherche orientée… Par exemple, les effets sublétaux, cumulatifs, accumulatifs ou les synergies entre les différents pesticides ne sont pas pris en compte.


La situation des eaux est significative : en France 91% des eaux de surface et 57% des eaux souterraines sont contaminées au moins une fois par an par des pesticides et 26% des sites de suivi présentent des concentrations ne permettant pas de boire l’eau. Quant à l’air, les données sont insuffisantes mais on sait que l’on retrouve du pesticide utilisé dans la viticulture dans l’air de Bordeaux. L’impact toxique des pesticides est particulièrement parlant dans le cas des abeilles – qui nous renseigne aussi sur la santé humaine – les petites doses ou les expositions mixtes sont dommageables comme les grosses doses peuvent causer des mortalités importantes.


En ce qui concerne l’usage d’engrais et leur impact sur les eaux, il faut savoir que l’azote dans l’eau sous forme de nitrates (ou d’ammonium) est un polluant car il favorise l’eutrophisation et peut affecter la santé humaine. Cette substance est très soluble et migre facilement vers les nappes8. Dans les années 1990 plus de 65% des rivières dans l’UE avaient des concentrations annuelles moyennes en nitrates supérieures à 1mgN/litre. C’est dans l’Europe de l’Ouest, que l’on retrouve les plus fortes concentrations. C’est l’élevage intensif qui en est à l’origine. Dans le Nord et le Centre de la France en 1986 les doses d’azote à l’hectare atteignent 191 unités d’azote ; dans les mêmes régions les traitements par fongicides ou régulateurs de croissance sont les plus nombreux (84% des surfaces en blé sont traitées)9. C’est chiffres vertigineux montrent bien que c’est l’intensification de la production qui oblige à l’usage massif de ces produits.


Enfin, après les prises de conscience écologiques des années 1990, en 2000 la bonne gestion des intrants est devenu une préoccupation majeure (diverses règlementations, grenelle de l’environnement, verdissement de la PAC, maladies professionnelles et mobilisations des consommateurs). Le bilan est ambivalent : stabilisation de l’usage de l’azote et baisse de certains engrais ou interdiction de certains pesticides dangereux, mais en parallèle une tendance à l’intensification des cultures qui perdure et pousse à l’emploi d’engrais ou des pesticides à cause de l’agrandissement et de la simplification des itinéraires techniques.


Comme nous allons voir dans la partie sur les alternatives, pour pallier à une agriculture dangereuse et qui gaspille, il faut explorer d’autres modes de production qui permettent de redonner du sens au métier du paysan et en même temps de travailler avec la nature et non pas contre elle. Mais il faut aussi aller vers une politique progressiste qui interdirait progressivement l’utilisation de produits dangereux dans l’agriculture.


Une agriculture qui uniformise :


Dans cette dernière partie de bilan de l’agriculture productiviste nous allons discuté d’une facette importante de cette dernière. Produire plus signifie, et nous l’oublions trop souvent, uniformiser dans le but de s’approprier et de vendre. En effet, intégrée dans un système agro-industriel l’agriculture modernisée doit créer des produits identiques, coupés sur mesure pour des vies identiques. Pour les besoins de l’agro-industrie on sélectionne des races et des variétés hautement productives et adaptées aux process. Les territoires, les pratiques paysannes et le métier d’agriculteurs suivent la même voie. L’uniformisation de la nature est en cours…


Les territoires


Les territoires sont directement liés à l’agriculture : support mais aussi produits d’une certaine agriculture, ils ont fortement évolués au cours du processus de la modernisation agricole.


En 1960 les paysages, les fermes et les territoires sont caractérisés par le système de polyculture-élevage. 63% du territoire français est agricole : prés de la moitié est consacré aux terres labourables et 1/3 des surfaces sont en herbe. Par ailleurs un cheptel diversifié est reparti sur tout le territoire. Les équilibres entre les espaces non cultivés et la gestion des cultures pérennes et annuelles sont assurés. On trouve déjà une certaine spécialisation des territoires : céréales en pleine, élevage en montagne par exemple… Dans cette France très rurale, ce sont les petites exploitations familiales qui dominent. L’association complémentaire de l’élevage et des surfaces cultivées permet des déclinaisons régionales et locales très diverses et repose sur une maîtrise globale de la fertilité ainsi que des nutriments ou des adventices. Les animaux permettent des transferts entre les espaces non cultivés (par exemple agroforesterie) et la ferme.


Assez rapidement pour enclencher réellement la modernisation agricole, des institutions se créent pour gérer le remembrement et l’aménagement foncier. Aussi du point de vue industriel la structuration de l’aval se poursuit avec la possibilité de se positionner sur un marché de masse : conservation, transport, stockage, prophylaxie, mise en commun dans les coopératives. Dans la ferme on assiste à une spécialisation et une adoption des itinéraires techniques les plus efficaces. On retrouve ce processus également au niveau régional ou national : spécialisation de la production en fonction des avantages comparatifs, segmentation du marché par l’intégration dans l’espace de concurrence européen. Aussi, les productions animales changent radicalement en connaissant un développement extraordinaire propulsé par une production céréalière conséquente et une industrialisation des process. Ce bouleversement permet dans les faits les modifications des comportements alimentaires en termes de protéines que nous connaissons.


Les conséquences territoriales de la mise en place de la modernisation agricole sont sur plusieurs niveaux : globalement, l’agrandissement coïncide avec une importante exode rurale. De manière plus spécifique on assiste à une différenciation entre des zones agricoles marginalisées et des zones plus dynamiques. Au niveau européen, la déprise va de pair avec la surproduction. L’uniformisation des territoires et des exploitations autour d’un ou deux modes de production va entrainer une régression des surfaces en prairies, haies, des mares et des éléments épars. Parallèlement les surfaces drainées seront multipliées. La gestion des milieux se fait de plus en plus en utilisant des machines : le savoir-faire traditionnel récule. La déprise (dans le Sud, abandon de la culture en terrasses ou des zones de pâturage) ou le boisement par des résineux de certaines zones conduisent à la fermeture des espaces difficiles (qui présentent souvent un intérêt naturaliste). Le bilan est de ce point de vue désolant : polarisation des espaces et de populations à travers le processus de spécialisation veut dire abandon de la souveraineté alimentaire des territoires.


La biodiversité


Le système de polyculture-élevage avait comme conséquence de maintenir une grande diversité de races animales, de variétés cultivées ou des paysages. En effet la présence de différents milieux (mares, forêts diversifiées, milieux steppiques ou typiques de plaines alluviales) est très favorable aux espèces auxiliaires. En termes de pratiques la fauche tardive, la production sur place des aliments de bétail, la petite taille des parcelles ou la gestion des haies garantissent la diversité des habitats et des niches écologiques. Globalement la situation est aussi favorable aux espèces sauvages.


L’abandon de l’équilibre qui existait dans le système précédent engendre une perte de biodiversité. Par exemple, l’utilisation massive du maïs-ensilage dans l’alimentation animale a entrainé la disparition progressive des cultures fourragères. Les céréales secondaires comme le sarrasin ou le méteil ont été supplantés par le blé tendre ou le maïs ; les plantes aromatiques, médicinales ou à parfum ont été, elles aussi abandonnées. Il est tout à fait aisé de comprendre ici comment le modèle agro-alimentaire choisi influe sur le nombre d’espèces et de variétés utilisées en agriculture mais aussi sur la préservation des savoir-faire liés à ces cultures. De la même manière, la simplification des techniques de production ainsi que la recherche de productivité ont conduit à homogénéiser les troupeaux et donc à la perte ou l’absorption de races utilisées dans l’élevage. L’intérêt de la préservation des races n’est pas simplement naturaliste. La diversité des caractères permet l’adaptation à des milieux et des situations variées, elle est donc d’une importance majeure pour l’élevage.


Au niveau des sols le bilan est aussi catastrophique. Les changements dans le travail de la terre (superficiel et mécanisé), l’utilisation massive des produits phytosanitaires, ainsi que la réduction des haies et la destruction des talus (à cause des remembrements) entrainent la diminution de verres de terres, d’insectes, d’adventices, d’oiseaux, de petits mammifères mais aussi d’espèces sauvages. La monoculture d’herbe aussi, contribue dans les zones de pâturage, à une diminution de la diversité floristique et la réduction des habitats.


Pour conclure, au delà de la bipolarisaiton déprise/intensification, l’agriculture productiviste conduit à une spécialisation régionale qui accroit la banalisation des paysages. De plus en plus nous assistons à un recul de la biodiversité banale qui conduit à un besoin de préservation de la biodiversité remarquable (les zones de protection).


La biodiversité est devenue aujourd’hui un souci majeur. Mais les politiques agricoles ou environnementales répondent de deux manières à cette sollicitation : d’une part en séparant espace productif et espace remarquable et d’autre part en monnayant les dégâts sur la biodiversité. Nous pouvons bien comprendre à quel point ces politiques sont absurdes et très peu audacieuses. Pour protéger la biodiversité il est nécessaire de pratiquer et permettre une agriculture non productiviste. Pour cela il faut réorienter de manière conséquente les systèmes d’aides, redonner aux agriculteurs tous les droits et en particulier en matière de semences, mais aussi interdire les innovations technologiques dangereuses comme les OGM. N’oublions pas que ces plantes manipulées contituent le stade ultime de cette agriculture qui uniformise : on ne se contente plus de guider la reproduction pour faire exprimer des caractères intéressants. Avec les OGM on intervient directement sur le patrimoine génétique de la plante pour créer des clones brevetés produisant des pesticides dans des champs en monoculture. Les risques de contamination des variétés non manipulées sont considérables, c’est pourquoi dans ce système on garde précieusement des exemplaires des variétés sauvages dans des frigos10.


Des alternatives ?


Tout d’abord il faut souligner qu’il existe encore des régions du monde où l’agriculture productiviste n’a pas été adoptée. Malheureusement ces territoires sont de plus en plus agressés par les politiques agricoles capitalistes. En entrant dans l’OMC les Etats sont dans l’obligation de libéraliser leur agriculture, avec toutes les conséquences désastreuses que l’on connaît. L’étau se resserre dans un monde où les denrées alimentaires doivent être de plus en plus concurrentielles. Depuis des décennies maintenant, l’objectif de ces politiques est d’intégrer un maximum de territoires dans le marché agricole mondial. On comprend ainsi assez facilement, pourquoi les multinationales avec la complaisance des gouvernements adoptent des stratégies offensives (accaparements des terres, contamination par OGM, usage recommandé de pesticides, interdiction de l’échange des semences…) pour forcer les paysans et les paysannes d’abandonner les modes de production traditionnels qui les faisaient vivre jusqu’à présent.


Mais ces territoires existent encore, en particulier dans les zones pas trop productives, épargnées par le marché. De manière timide des recherches institutionnelles ou participatives sont menées pour mieux connaître et préserver ces pratiques paysannes précieuses : culture sur brûlis, agroforesterie, variétés de riz qui consomment peu d’eau, gestion combinée de la pêche et de l’agriculture vivrière… En somme tout ce qui fait que le travail du paysan et de la paysanne était avant tout une histoire d’adaptation à l’agro-écosystème local, un travail donc avec la nature et non contre elle.


de production


En même temps que l’on a assisté à l’avènement du productivisme dans les pays intégrés dans le marché mondial, des alternatives ont essayé de faire leurs preuves et ont gagné du terrain. Bien avant la critique écologique officielle, des paysans et des consommateurs ont expérimenté des pratiques différentes en essayant de préserver leur savoir-faire. Contraintes d’exister dans une économie de marché dominée par l’agriculture productiviste, ces pratiques alternatives ont adoptés des cahiers de charges, des chartes, des labels, des bibliographies et même des philosophies…


En termes de système de production il existe plusieurs écoles, la plus connue étant l’agriculture biologique. A la base de celle-ci il y a le mouvement anthroposophique, qui veut refonder le rapport holistique que l’homme doit entretenir avec la nature. L’agriculture biologique s’est développée dans les années 1970 en réaction au productivisme. Les paysans et les consommateurs qui l’ont animé, d’abord au sein de Nature et Progrès, et aussi par la suite dans la Fédération Nationale des Agriculteurs Biologiques ont essayé de retrouver et de développer des pratiques en respectant et en profitant des capacités des ressources naturelles et des cycles biologiques (rotations des cultures, lutte biologique), interdisant les intrants chimiques, rétablissant le lien au sol, et une alimentation produite à la ferme pour les animaux. Allant dans le sens de l’économie, de l’autonomie, du développement des pratiques agronomiques respectueuses de l’agro-écosystème et promouvant les échanges de fertilité au sein d’une ferme diversifiée, l’agriculture biologique propose à ces débuts un véritable projet de société. On retrouve l’idée de transformer l’agriculture en transformant la société encore dans Nature et Progrès qui est une marque privée, avec un cahier de charges plus strict que celui imposer aujourd’hui par l’Union Européenne. En effet, si les débuts ont été très radicaux, depuis quelques années la tendance est à un relâchement des exigences en termes de mode de production de l’Agriculture Biologique. Il faut produire plus, pour un marché de niche en expansion : les capitalistes n’ont jamais eu de scrupule d’assouplir les règles si ça leur permet de faire du business.


Face à ce processus, d’autres mouvements tiennent le flambeau, comme l’agriculture biodynamique (plus exigeante que l’agriculture biologique institutionnelle, s’attachant au concept d’ « organisme agricole », travaille dans le respect des rythmes lunaires ou planétaires) ou la permaculture (où on travaille sur les équilibres entre les différents éléments d’une ferme en recherchant la soutenabilité énergétique du système : non labour, agroforesterie, multiplication des interfaces, utilisation des animaux contre les adventices…).


Ces systèmes de production s’accompagnent d’une autre approche du traitement des maladies des plantes et des animaux : moins de médicaments, de vaccins et de traitements chimiques en privilégiant des variétés et des races rustiques et résistantes et une prophylaxie globale liée entre autres à l’alimentation ou aux apports naturels.


de distribution, transformation et consommation


La production agricole ne peut pas être dissociée du mode de distribution, transformation et consommation. Depuis quelque temps des alternatives à la chaine agro-alimentaire voient le jour : Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne, Paniers Paysans, Coopératives Alimentaires, Marchés de Producteurs… Consommer en dehors des supermarchés est crucial pour pouvoir consommer des bons produits, produits dans des bonnes conditions. En effet l’industrie agro-alimentaire engendre et sélectionne la production agricole qui lui convient (conditionnement, stockage, traitements, attrait visuel, capacités mécaniques des aliments…). Ce n’est que dans d’autres circuits, de proximité et de petite échelle, qu’il est possible de profiter de produits issus d’une agriculture de qualité. Les paysans qui s’engagent dans ce type de schémas sont plus indépendants et peuvent espérer obtenir un revenu plus intéressant qu’en filière longue. Ces avantages restent évidemment subordonnés au contexte plus global. Aussi, ces initiatives participent à recréer du lien social, des interfaces entre ville et campagnes, questionnent les habitudes alimentaires, invitent à diminuer le temps de travail, de déplacement, afin de pouvoir mieux vivre en s’alimentant bien. Elles sont au cœur donc, du projet écosocialiste qu’il faut construire.

des luttes : agriculture paysanne, souveraineté alimentaire

Mais bien évidemment il ne suffit pas de multiplier les expériences de vente directe pour réorienter massivement l’agriculture. Ces expériences sont, dans le cadre capitaliste, vouées à rester en périphérie ou à être dénaturées. C’est pourquoi des organisations comme Via Campesina, qui regroupe des syndicats et des associations de paysans et de paysannes un peu partout dans le monde, lutte pour la transformation de la société. A la Via Campesina, on expérimente l’agriculture paysanne tout en pensant qu’un changement global est nécessaire afin de permettre aux paysans d’adopter des modes de production respectueux de l’environnement et leur donnant la possibilité de vivre dignement. C’est pourquoi l’agriculture paysanne est une tentative de tendre vers une production maitrisée et redistribuée, de qualité, économe, autonome, respectueuse du milieu naturel, participant au développement du milieu rural, générant des emplois et des solidarités. Mais il n’est pas possible de rendre ce modèle dominant, dans le système actuel : il faut réorienter les politiques agricoles en redistribuant/plafonnant les aides, sortir l’agriculture des accords de libre échange, interdire les pratiques dangereuses pour l’environnement et la santé… Autant de chantiers qu’il faut mener en remettant en cause le pouvoir de l’agro-industrie et des gouvernements qui la soutiennent.

Il faut donc, à la manière de Via Campesina et des Forums Sociaux réclamer le droit à la souveraineté alimentaire. Ce droit de décider des politiques agricoles que nous voulons mettre en place dans une démarche globale, est un droit fondamental. Les luttes qui se construisent autour de cette idée sont centrales car elles unifient les peuples du Sud et du Nord, les salariés et les paysans, les ruraux et les urbains autour d’un objectif simple : produire, manger et vivre dignement, selon ses besoins et en respectant les potentialités de l’environnement. Lutter pour la souveraineté alimentaire, c’est se ressaisir de ce qu’on nous a volé : nos terres, notre pain et au final notre vie.


Conclusion :

Le but de cet article était d’analyser les impacts environnementaux de productivisme agricole, il n’était pas de faire le procès de l’agriculture en général, ou des mauvais agriculteurs. Trop longtemps le bouc émissaire fut l’agriculteur breton qui en pauvre bougre cultivait tellement mal qu’il finissait par produire des algues vertes. Trop souvent on a opposé les défenseurs de l’environnement aux agriculteurs. Il s’agissait dans cet article de montrer que la ligne de démarcation traverse aussi bien les écologistes que les agriculteurs : défendre des aménagements du productivisme, aussi bien pour faire du développement durable que pour faire de l’agriculture raisonnée, ça revient au même. C’est oublier que c’est bien d’un choix politique dont l’on parle : il a été fait à un moment donné et il a comme conséquence des désastres environnementaux et sociaux.


Les promoteurs de ce système productiviste, ont pris en otage la majorité des paysans au Nord comme au Sud : investissement, agrandissement, maladies professionnelles, illégalité, bidonvilles, famines… Pour asseoir ce système il a fallu liquider les populations paysannes dans le Nord. En ce moment même on est en train de faire pareil dans le Sud à coups de pesticides, d’accaparements des terres, en rendant les pratiques paysannes illégales… Enfin, rappelons-nous, qu’il n’y a pas d’exploitation de la nature sans exploitation des hommes et des femmes. Et qu’il n’y aura pas de projet écosocialiste viable sans que la parole et les luttes des paysans et des paysannes soient remises au centre du débat démocratique.


Pages: [1]
WP Forum Server by ForumPress | LucidCrew
Version: 1.7.5 ; Page loaded in: 0.073 seconds.